Narration interactive et choix
C'est à nouveau Alcyone qui vous parle de l'un de ses sujets favoris : le choix.
Le choix est une notion essentielle en fiction interactive et il y aurait énormément à dire dessus. Pour commencer, je vous propose de revenir sur les différents types de choix que vous pouvez proposer à vos joueurs, et ce qu’ils représentent.

Derrière l'une de ses portes se trouve la suite de cet article...
(Image : Arek Socha - Pixabay)
Les vrais choix, les faux choix et les vrais-faux choix
« Vous vous trouvez dans un couloir qui se divise en deux boyaux, partant respectivement vers la droite et vers la gauche. Lequel empruntez-vous ? »
Si les deux couloirs mènent à des endroits distincts, on est face à un vrai choix. S’ils mènent à deux lieux distincts et qu’on ne peut plus revenir en arrière après en avoir emprunté un, on est face à un vrai choix crucial. Si les deux couloirs mènent à la même pièce et qu’aucun obstacle particulier ne distingue un couloir de l’autre, on est face à un faux choix. Jusque-là ça va. Et les vrais-faux choix alors ?
Les vrais-faux choix ne sont pas pris en compte par les statistiques du jeu. Ils n’auront aucune conséquence ni immédiate ni différée sur la poursuite de l’histoire. En cela, ce sont des faux choix. Mais ils ont un impact réel sur la personnalisation de l’expérience du joueur. Ils forgent son rapport à l’univers et aux personnages.
Imaginons que le personnage que l’on incarne se trouve dans une situation délicate. Il peste intérieurement, au choix :
Option A : « *#*@% de *@#*§*% de sa #§##$** de **#$$**#& !!! »
Option B : « Purée. J’aurais dû écouter Martin. Je fais quoi maintenant ? »
Option C : « Diantre. Me voilà fort désappointé. »
L’option choisie n’est entendue par aucun PNJ, elle n’apporte rien au déroulement de l’intrigue. Mais elle caractérise très fortement le personnage qui parle. Faire ce genre de choix permet au joueur d’investir différemment le jeu et de doter son avatar d’une personnalité propre. En cela, c’est un vrai choix, avec un impact réel sur son expérience de jeu.
Les vrais choix : la base
Naturellement, dans un contenu interactif, on espère qu’on nous proposera plus de vrais choix que de faux. Offrir des choix qui déterminent réellement ce qui se passe dans le jeu est le cœur des fictions interactives qui nous intéressent ici. Ils donnent une souplesse à l’univers et de la liberté aux joueurs.
Mais pour le joueur comme pour le créateur, les vrais choix ont des inconvénients. Premièrement, ils nuisent à la lisibilité globale de l’histoire. Quand il y a trop d’embranchements qui partent dans tous les sens, on prend le risque de ne plus savoir comment on est arrivé là et vers où on se dirige. Pour minimiser ce risque, quelques petites astuces : annoncer plus ou moins subtilement à quoi correspondent les choix qui sont proposés. Le joueur doit savoir à peu près à quoi il s’engage quand il clique sur ce choix plutôt qu’un autre. Si le résultat qu’il obtient n’a l’air de n’avoir aucun rapport avec les choix qu’il a faits, il risque de se désengager.

Le joueur doit savoir dans quoi il s'engage.
(Image : Vladislav Babienko)
On peut aussi créer des zones de passage obligatoire, des points de l’histoire sur lesquels on va tomber quoi qu’il arrive. Cela permet de délivrer des informations importantes à tout le monde et de resserrer son intrigue de temps en temps.
C’est également bénéfique pour le créateur, car ça le force à ne pas trop s’éparpiller. Car le problème avec les histoires à embranchements, c’est qu’elles peuvent ne jamais s’arrêter. Si mes deux choix débouchent chacun sur trois choix différents qui eux-mêmes ouvrent sur deux autres choix, lesquels se divisent respectivement en trois et quatre options qui ensuite…. c’est sans fin. Savoir s’arrêter est l’une des difficultés principales quand on écrit ce genre de récit. Pour l’éviter, il faut se poser les bonnes questions. Quelles sont les chances que des joueurs arrivent jusqu’ici ? Si elles sont d’une sur trente-deux, est-ce que ça vaut le coup de poursuivre cette piste encore et encore ? Est-ce que cette voie est pertinente par rapport au reste de mon histoire ? Est-ce qu’elle peut être reliée au reste facilement ?
Les faux choix : la gentille arnaque
Si vous créez une fiction sur la vacuité de l’existence et l’inéluctabilité de la mort, alors ne proposer que des faux choix à votre joueur et faire en sorte qu’il s’en rende compte sert votre propos. Sinon, en général, on propose des faux choix pour se simplifier la vie. S’ils sont bien faits, le joueur croira avoir fait un vrai choix. Et dans ce cas-là, tout le monde est content. Vous avez fourni une illusion d’interactivité et avez dépensé moins de ressources pour ça.
Mais si les faux choix se succèdent et que le joueur réalise que vous manquez à votre promesse initiale – lui offrir un contenu réellement interactif – il peut se retrouver frustré. Parce que oui, on finit par s’en rendre compte, soit en jouant la première fois soit en rejouant pour essayer les options qu’on a dû laisser de côté pendant la partie précédente.
Un exemple de jeu qui m’a fait ressentir ça : le premier épisode de Game of Thrones par Telltale.

Iron from Ice, des faux choix à foison
(Crédits : Telltale Games)
Les vrais-faux choix : à consommer sans modération ?
Ils offrent un compromis intéressant : ils changent vraiment quelque chose pour le joueur mais ils ne vous coûtent pas grand-chose à mettre en place. On le sait, la magie de la fiction se trouve dans ce qu’on ne raconte pas, dans ce qu’on laisse le joueur imaginer. Les vrais-faux choix participent de cette dynamique, ils sont donc au service de l’imagination du joueur.
Mais comme les faux choix, ils ont leurs limites : si vous ne proposez que ça, comment évaluer la progression du joueur ? Comment lui offrir une histoire qui corresponde réellement au monde qu’il est en train de se créer ? Finalement comme toutes les bonnes choses, il ne faut pas en abuser. Je propose donc de les cantonner au cas développé dans l’exemple en introduction : pour affiner le personnage principal et son rapport au monde à travers des commentaires sur sa situation.